jeudi 22 septembre 2011

Un combat pour tous les Troy Davis

Troy Davis a été exécuté hier soir aux Etats-Unis alors que les preuves de sa culpabilité faisaient cruellement défaut et malgré les appels à la clémence venus des quatre coins du monde.

A 23h08 mercredi dans la prison de Jackson, Géorgie, Troy Davis a cessé de respirer après avoir reçu l'injection létale, moyen d'exécution en cours dans cet Etat du sud-est des Etats-Unis. Ses derniers mots ont été: "Ce n’était pas de ma faute, je n’avais pas d’arme (...) A ceux qui s’apprêtent à m’ôter la vie, que Dieu vous bénisse". Pris dans les travers du système judiciaire et policier américain, cet Africain-Américain de 42 ans, ayant passé la moitié de sa vie dans le couloir de la mort, a continué de clamer jusqu'à son dernier soupir qu’il n’avait jamais tiré sur ce policier blanc de 27 ans, ce soir d’août 1989, sur ce parking de Burger King à Savannah.

Rassemblement devant le Capitole de Géorgie
(Photo: Amnesty International Southern Regional Office)

Troy Davis est l'un de ces trop nombreux cas de prisonniers mis à mort aux Etats-Unis malgré les sérieux doutes pesant sur leur culpabilité. Aucune preuve matérielle, empreinte digitale ou ADN ne le reliait en effet au meurtre et l’arme du crime n’avait pas été retrouvée. Pire, en 2010, sept des neuf témoins étaient revenus sur leur déposition, avouant avoir été contraints par la police de dénoncer Davis sans l'avoir vu tirer sur l'agent Mark MacPhail. Malgré ces désaveux, le juge en charge de l’affaire a estimé que l’innocence n’était toujours pas prouvée et que l’exécution devait être maintenue. La Cour Suprême américaine, composée de neuf juges en majorité conservateurs, a quant à elle décidé en mars de rejeter tous les recours déposés par Davis.

L'ultime espoir du condamné reposait sur la réunion du comité des grâces de Géorgie, mardi matin. Mais celui-ci a décidé de ne pas accorder la clémence, malgré toutes les faiblesses du dossier ainsi que les appels de militants et personnalités du monde entier, du pape Benoît XVI à l'ancien Président américain Jimmy Carter. Les cinq membres du comité ont déclaré avoir examiné "la totalité des informations" avant de trancher, estimant "ne pas avoir pris leur responsabilité à la légère" et assurant que la décision de refuser toute grâce à Troy Davis avait été "méticuleusement débattue". Ces derniers ont ajouté qu’ils "comprenaient certainement l’émotion suscitée par une affaire de peine de mort" mais ont malgré tout autorisé l'exécution.

Blancs et Noirs, inégaux devant la justice

Toute la journée de mercredi, Maître Brian Kammer, l'avocat de Troy Davis, a multiplié les efforts pour déposer une nouvelle requête et pousser le comité des grâces à reconsidérer sa décision, citant notamment un "faux témoignage" du médecin légiste ayant autopsié le corps du policier. Mais en vain. De son côté, le président Barack Obama a fait savoir qu’il se refusait à intervenir, la peine de mort étant de la compétence de chaque Etat. Quelques jours avant son exécution, Troy Davis, qui avait déjà échappé à trois dates d'exécution et était devenu un symbole de la lutte contre la peine de mort, avait déclaré que son combat était "pour tous les Troy Davis qui ont été à ma place et tous ceux qui viendront après moi" ("this struggle is for all the Troy Davises who came before me and the ones who will come after me"). Mais pour la famille du policier blanc tué, il ne fait aucun doute que Davis était bien le coupable. Interviewée sur CNN, sa mère a lancé qu'"enfin la justice est faite", ajoutant qu'elle ressentait "soulagement et paix" et qu'un jour peut-être elle pardonnera à Davis "mais pas maintenant".

Une nouvelle journée d’action mondiale est prévue ce jeudi en l’honneur de Troy Davis et pour dénoncer le fait que les Etats-Unis figurent parmi le top 5 des pays exécutant le plus, derrière la Chine, l’Iran, la Corée du Nord et le Yémen. Une autre réalité persiste dans ce pays: les Africains-Américains demeurent surreprésentés dans le couloir de la mort et constituent 41% des prisonniers alors qu'ils ne sont que 12% de la population. Une véritable disproportion, reflétant une inégalité de traitement devant la justice par rapport aux Blancs. Cette inégalité se retrouve jusque dans la mort puisque les chances d'aboutir à la sentence capitale sont considérablement plus élevées lorsque la victime est Blanche.

(conseil de lecture: "The Confession" de John Grisham, criant de vérité).

dimanche 18 septembre 2011

Un Américain sur six est pauvre

Le gouvernement américain vient de publier un rapport historiquement alarmant sur la pauvreté aux Etats-Unis en 2010 qui illustre l'impact persistant de la récession.

Une mauvaise nouvelle de plus dans l'été sombre de Barack Obama: le rapport annuel 2010 sur la pauvreté, publié cette semaine par le Bureau du recensement américain, présente les pires chiffres depuis que l'agence gouvernementale a commencé à relever ces données il y a 52 ans. L'étude révèle ainsi que 46 millions de personnes, soit un Américain sur six de plus de quinze ans, vivent littéralement sous le seuil de pauvreté - fixé à 22 314 dollars (16 400 euros) par an pour un foyer de quatre personnes.

De quoi miner un peu plus la popularité du président, déjà affaibli par la dette faramineuse du pays, la dégradation de la note financière américaine et le chômage bloqué à plus de 9%. Mais tout n'est pas à mettre sur le dos de Barack Obama. Les chiffres reflètent en effet concrètement l'impact persistant de la récession ayant suivi la crise financière et économique de 2008 a frappé la nation. L'augmentation consécutive du taux de pauvreté aux Etats-Unis depuis trois ans s'est ainsi avérée plus forte que lors de n'importe quelle autre période depuis le début des années 1980. En 2010, il a atteint les 15,1% de la population, soit un bond de 0,8 point par rapport à 2009.

Ce qui reste plus inquiétant, et dommageable politiquement, est que la vague de pauvreté ne frappe pas tout le monde de la même façon. Les Noirs et les Hispaniques sont presque trois fois plus touchés que les Blancs en pourcentage de leur population. Les enfants ne sont pas non plus épargnés dans la première puissance économique mondiale puisque 21,6% des petits Américains figurent sous le seuil de pauvreté. Cela constitue l'un des taux les plus élevés des pays développés selon l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). En comparaison, la pauvreté infantile au Danemark est de 3,7% et en France de 9,3%.

La pauvreté: une "sentence de mort"

L'étude du Bureau de recensement examine aussi l'évolution du revenu moyen des ménages, qui a baissé en 2010 de 2.3% par rapport à 2009. Quant à la couverture santé, près de 50 millions d'Américains en étaient dépourvus l'an dernier, soit un million de plus qu'en 2009. Un chiffre alarmant si l'on considère que le coût de la moindre consultation chez un médecin généraliste frise les 200 dollars.

"La pauvreté aujourd'hui est une sentence de mort pour des dizaines de milliers d'Américains", a averti le sénateur indépendant du Vermont, Bernie Sanders. Inquiet de voir "la classe moyenne s'effondrer", ce dernier appelle à un "programme d'urgence pour remettre les gens au travail" - le chômage étant souvent l'une des premières causes de la pauvreté. Remettre les gens au travail, c'est bien ce que le président Obama a promis de faire en présentant la semaine dernière son nouveau plan pour l'emploi. Mais le paquet  législatif, estimé à 447 milliards de dollars, suscite déjà de nombreuses critiques notamment du côté des républicains majoritaires à la Chambre des représentants.

mardi 13 septembre 2011

Rick Perry et tous ses amis

Deuxième débat télévisé hier soir à Tampa, en Floride, entre les candidats à l'investiture républicaine en vue de la présidentielle de novembre 2012. Désormais favori, le gouverneur du Texas Rick Perry a subi une salve d'attaques de la part de ses adversaires, ayant quelquefois du mal à se défendre.

Mitt Romney, rétrogradé deuxième dans les sondages depuis l'entrée dans l'arène de Rick Perry, a immédiatement critiqué ce dernier sur la question du programme de retraite de la sécurité sociale. L'ex-gouverneur du Massachusetts a martelé que Perry souhaite à présent maintenir ce programme alors qu'il n'y a même pas six mois il scandait qu'il s'agissait d'un système frauduleux et mensonger qui ne devrait pas être mis dans les mains du pouvoir fédéral. "Voulez-vous ou non que ce secteur retourne aux Etats?", a lancé un Romney battant et préparé à l'adresse de Perry, debout juste à côté de lui. Le gouverneur chevronné du Texas a contre-attaqué en répliquant qu'à la différence de Romney son but n'était pas de "terroriser les personnes âgées" mais bien "d'avoir un débat légitime sur les moyens d'ajuster ce programme pour qu'il ne fasse pas faillite" -  sans apporter toutefois plus d'éléments d'informations sur les moyens d'y parvenir.

Romney n'a guère pu insister davantage sur ce sujet qui reste sensible pour lui depuis que son propre camp lui reproche d'avoir signé, lorsqu'il était gouverneur du Massachusetts, une loi sur la santé proche de celle d'Obama. Il a toutefois lancé une autre pique bien assaisonnée à son adversaire texan, soulignant que les chiffres flatteurs de créations d'emplois au Texas tenaient d'abord à l'absence d'impôt sur le revenu et aux ressources naturelles de l'Etat plus qu'à la politique menée par Perry, avant de chuter: "au poker ce n'est pas parce qu'on a quatre As que l'on est un bon joueur". Ce qui a poussé Perry à répliquer: "Mitt tu t'en sortais très bien jusqu'à ce que tu te mettes à parler poker". Interrogé sur le sujet, le libertarien Ron Paul, représentant élu du Texas, s'est également montré sceptique quant à toute implication de Perry dans le miracle économique de son Etat, ironisant: "je n'en dirai pas plus de peur qu'il augmente mes impôts".



Mais la plus forte attaque est probablement venue de Michele Bachmann, la représentante du Minnesota et égérie du Tea Party, qui a violemment accusé Rick Perry d'avoir signé un ordre exécutif réclamant que les jeunes filles préadolescentes reçoivent un vaccin contre le cancer du col de l'utérus. En pleine forme, face à un auditoire Tea party très en sa faveur, Bachmann a réitéré son opposition à cette mesure et lancé que l'entreprise fabriquant le vaccin, qui allait pouvoir se remplir les poches, avait contribué financièrement à la campagne de Perry. Quelque peu estomaqué, le gouverneur du Texas a mis quelques secondes avant de répondre qu'il s'agissait d'une contribution à hauteur de "seulement" 5000 dollars et d'ajouter une phrase qu'il a probablement dû immédiatement regretter: "j'ai réussi à recueillir 30 millions de dollars dans ma campagne, donc si vous dites que je peux me faire acheter pour 5000 dollars je suis offensé"...



Les autres candidats semblaient moins obnubilés par Perry. L'ex-sénateur de Pennsylvanie Rick Santorum a gagné les applaudissements du public en conspuant Ron Paul pour avoir déclaré que les attentats du 11 septembre étaient en partie la conséquence de la politique étrangère militaire des Etats-Unis. L'ancien ambassadeur d'Obama en Chine Jon Huntsman ne s'est guère démarqué non plus, bien qu'il ait réussi la prouesse de placer le nom de Kurt Cobain dans ce débat républicain en tentant un jeu de mot avec le titre du livre de Mitt Romney "No Apology" proche de la chanson "All Apologies" du leader du groupe Nirvana. Mais la foule n'a pas réagi à sa boutade qui est tombée à l'eau. Newt Gingrich, l'ex-président de la Chambre des représentants,  semblait de son côté plus intéressé à assaillir de critiques le président Obama, tandis qu'Herman Cain, fondateur de la chaîne de restaurants Godfather's Pizza, n'a suscité qu'une seule fois l'intérêt en affirmant qu'il souhaiterait "apporter le sens de l'humour à la Maison Blanche".

Trois autres débats de ce genre devraient avoir lieu dans les prochaines semaines. C'est également à Tampa que se tiendra en août 2012  la convention républicaine chargée de désigner le "ticket" candidat pour les postes de président et de vice-président des Etats-Unis. La Floride est l'un des Etats traditionnellement indécis qui pourrait aider l'opposition à l'emporter sur les démocrates. En 2000, elle avait penché pour George W. Bush mais en 2008 pour Barack Obama.  

dimanche 11 septembre 2011

Un dimanche presque ordinaire

New York, 11 septembre 2011, quelque part entre 20h et minuit. Les deux puissants jets de lumières verticales de "Tribute in Lights" s'élancent dans la nuit new-yorkaise depuis l'ancien emplacement des tours défuntes, perçant les nuages agglutinés sur la ville.

Les cérémonies de commémoration des dix ans des attentats sont finies. Les discours officiels ont été prononcés, les minutes de silence respectées, les noms des victimes énumérés, les prières récitées. Le son poignant des cornemuses, sorties pour l'occasion, aussi s'est tu. Restent, à Ground Zero, quelques policiers et des badauds observant les noms des victimes gravés sur les rebords en marbre des deux immenses  fontaines installées sur la nouvelle "place du mémorial". Un camion de pompier, paré d'un large drapeau américain flottant dans le vent, déboule dans une rue voisine en lançant un long et déchirant coup de sirène, comme dans un dernier hommage. Les têtes se tournent, les cœurs s'arrêtent un instant.

La journée du 11 septembre est finie. Il n'y a pas eu d'attentat. Mis à part les cérémonies à Ground Zero et l'impressionnant dispositif policier déployé dans toute la ville, ce dimanche était un dimanche presque  ordinaire à New York. Dans Central Park, les joggers ont joggé, les touristes ont photographié le mémorial Strawberry Fields de John Lennon. Dans les rues d'Harlem, les chants Gospel se sont échappés des Eglises tandis que sur la place principale de Chinatown les anciens ont joué au mahjong et baragouiné de vieux airs patriotiques.

A la télé, plusieurs chaînes ont rediffusé leur couverture en direct des attentats du 11 septembre, il y a dix ans: les premiers commentaires ahuris des journalistes à la vue des tours flambantes, la réaction de George W. Bush dans cette école primaire en apprenant la nouvelle, sa première intervention tardive, nerveuse, déjà guerrière. Le Time a de son côté choisi de publier une série de photos en noir et blanc des différents protagonistes du 11 septembre, des hommes forts de l'administration Bush, en passant par les militaires, activistes, proches de victime, pompiers, etc.

Dans un témoignage, le vice-président de l'époque Dick Cheney y explique comment très vite l'administration a estimé que la stratégie serait d'aller combattre les terroristes en Afghanistan "parce que c'est là que se trouvait Oussama ben Laden" et d'intervenir en Irak "à cause de ce problème d'armes de destruction massive", ajoutant que les décisions prises "ont été coûteuses en nombre de vies et en terme financier mais c'était la meilleure chose à faire".

Plus intéressant est le témoignage de Valerie Plame Wilson, ex-agent secret de la CIA dont l'identité fut finalement dévoilée à ses dépens et qui s'est battue avec son mari pour démontrer que Saddam Hussein n'avait pas essayé de se procurer de l'uranium au Niger pour construire  des armes de destruction massive. Elle se dit satisfaite aujourd'hui de voir que la vérité a au final éclaté, à savoir que "les services de renseignements ont été manipulés" et "que l'on a vendu une guerre aux citoyens américains qui n'était pas dans leurs meilleurs intérêts". "Je ne pense pas que l'histoire jugera ces décisions positivement".