vendredi 12 août 2011

L'Amérique et Obama en souffrance

L'Amérique va mal: entre la perte historique de sa note de dette AAA, son déficit faramineux, la fébrilité des marchés et le crash d'un hélicoptère en Afghanistan rempli de soldats d'élite... Barack Obama va désormais devoir batailler ferme pour sa campagne 2012.

"Techniquement ce n'est pas une crise existentialiste", notait jeudi le Washington Post, constatant qu'aucune armée n'allait envahir le pays, que la nation n'était pas encore dans ce que l'on pourrait appeler une récession et que tout le monde ne se ruait vers les banques pour retirer son argent. Ceci étant, il s'agit d'un "mauvais moment" à passer pour les Etats-Unis, continuait le journal. Surtout pour le président Barack Obama qui, par sa fonction, porte l'ultime responsabilité des problèmes. Si le vent pour la présidentielle de novembre 2012 lui était jusqu'alors favorable, il pourrait rapidement tourner.

Ses adversaires républicains martèlent déjà à l'envi qu'il est l'unique président américain de l'histoire à avoir causé une dégradation de la note de dette du pays et conduit les Etats-Unis au bord du défaut de paiement (lors des négociations sur le plafond de la dette). Autant d'arguments fallacieux si l'on considère que les républicains ont largement contribué à creuser la dette spectaculaire du pays en refusant catégoriquement de mettre fin aux exemptions fiscales pour les plus riches. L'agence de notation Standard and Poor's, qui a dégradé la note des Etats-Unis, a d'ailleurs souligné ce point dans ses explications.

"Kill Romney"

Dans ce contexte, l'équipe de campagne du président Obama affûte ses armes pour 2012. Selon des sources démocrates citées dans le journal Politico, l'équipe compte s'attaquer - et même "éliminer" - l'actuel favori à l'investiture républicaine: l'ancien gouverneur du Massachusetts et ex-business man élevé dans la foi mormone, Mitt Romney. Celui-ci devrait être présenté comme un candidat  "faux" et "sans scrupules", ayant retourné sa veste à plusieurs reprises par opportunisme politique, voire même comme un être "bizarre". Alors que Romney était jeudi en tournée dans l'Etat électoralement stratégique de l'Iowa, son directeur de campagne a réagi en lançant que "ni les viles menaces, ni la campagne négative à un milliard de dollars du président Obama ne permettront de remettre les Américains au travail, de sauver leurs foyers ou de leur redonner espoir".

La fameuse Une de Newsweek
Mais les fidèles d'Obama vont devoir garder des cartouches pour un autre adversaire républicain, qui devrait annoncer sa candidature samedi depuis la Caroline du Sud: le gouverneur du Texas Rick Perry. Sa cote de popularité a grimpé en quelques semaines, à tel point qu'il est apparaît désormais deuxième derrière Romney et devance la floppée d'autres candidats tous plus hauts en couleur les uns que les autres dont l'égérie illuminée du Tea Party Michele Bachmann (d'ailleurs surnommée à la Une de Newsweek cette semaine: "The Queen of Rage", délicieusement commentée par Jon Stewart).

A 61 ans, Perry est le typique gouverneur du Texas : anti-gouvernement fédéral, anti-impôts, pro-peine de mort (plus de 200 exécutions depuis le début de son mandat en 2000), pro-armes à feu, qui ne croit pas dans le changement climatique, défend bec et ongles le pétrole et le gaz texans et se veut fier comme un coq de la spécificité de son Etat. En plus, ce fils de "ranchman" est bel et bien né au Texas, à la différence de son prédécesseur George W. Bush. S'il fut un jour démocrate (au début des années 1980), il a depuis bien changé. Pour preuve: le grand rassemblement religieux qu'il a organisé samedi dernier dans l'immense Reliant Stadium de Houston. Là, sous la chaleur caniculaire, quelque 30 000 personnes étaient réunies, la plupart se tenant les mains, chantant en chœur, lisant des versets de la Bible, balançant les bras au ciel, certaines pleurant et entrant en transe. Depuis la scène, le gouverneur Perry, qui avait pris l'allure d'un prédicateur, a appelé Dieu à aider les Etats-Unis à régler tous les problèmes qu'ils traversent...

  
Même si Perry a assuré que cet événement était "apolitique", il a probablement réussi à l'issue de ce spectacle à gagner les voix des évangélistes et autres chrétiens conservateurs. Il pourrait toutefois être désavantagé dans sa course à la Maison Blanche par la mauvaise réputation laissée par son prédécesseur George W. Bush ou pour n'avoir pu se retenir de déclarer en 2009 que le Texas devrait "faire sécession des Etats-Unis". Pour l'heure l'ennemi numéro un de l'équipe Obama reste donc Romney (comme l'a confirmé le débat télévisé entre candidats républicains d'hier soir) et elle va mettre les bouchées doubles pour l'"éliminer" en cette période de troubles.

mercredi 3 août 2011

Fin du "cirque" politique sur la dette

Barack Obama a signé mardi une loi autorisant le Trésor à relever le plafond de la dette du pays pour éviter un défaut de paiement. Le rideau peut enfin tomber sur l'épisode peu glorieux de ces négociations même si tout n'est pas fini car les travaux de la nouvelle commission censée contrôler la dette du gouvernement s'annoncent tendus.

Le projet de loi, issu du compromis scellé in extremis dimanche soir entre la Maison Blanche et les chefs de file du Congrès, a été adopté lundi par la Chambre des représentants aux mains des républicains (269 contre 161) et mardi matin par le Sénat dominé par les démocrates (74 voix contre 26). Le président Obama l'a promulgué dans la foulée, à la dernière des dernières minutes, puisque la date butoir après laquelle les Etats-Unis n'auraient plus été en mesure d'emprunter pour rembourser leurs créanciers était fixée à ce même mardi 2 août.

Obama travaillant sur son intervention
après le vote du Sénat mardi à Washington
(Photo White House)
Le compromis prévoit au final une hausse de 2100 milliards de dollars du plafond de la dette, jusqu'alors fixé à 14 296 milliards de dollars. Cela devrait permettre à la première économie mondiale d'être en mesure de s'acquitter de ses factures jusqu'en 2013. Cette augmentation sera accompagnée d'une première réduction des dépenses de 1000 milliards de dollars sur dix ans, sans augmentation d'impôts d'aucune sorte. Une commission spéciale du Congrès, bipartisane et composée de membres des deux chambres, planchera ensuite sur des baisses de dépenses supplémentaires à hauteur de 1500 milliards.

Dans l'ensemble, le compromis fait plutôt figure de victoire pour les républicains. Lundi le Wall Street Journal, quotidien économique marqué à droite, écrivait que l'accord signe le "triomphe" de la mouvance ultraconservatrice du Tea Party et des partisans d'un gouvernement réduit car le texte ne comprend aucune augmentation d'impôts et prévoit des réductions budgétaires immédiates et réelles. Les élus conservateurs du Congrès ne sont cependant pas entièrement convaincus et auraient souhaité davantage de coupes budgétaires. Le chef de la minorité républicaine au Sénat Mitch McConnell (Kentucky) a d'ailleurs reconnu que "ce n'est pas le plan de réduction des déficits que j'aurais écrit"

Les plus à gauche furieux de l'accord

Les plus vives critiques viennent de la gauche, notamment la frange la plus progressiste du parti démocrate, qui accuse le président Obama d’avoir renoncé à mettre fin aux exemptions fiscales pour les riches afin d'équilibrer les coupes budgétaires. Obama a perdu du crédit à leurs yeux et ce, même s'il a réussi à obtenir de ses adversaires que le plafond de la dette soit suffisamment relevé pour tenir jusqu'en 2013 (les républicains ne voulaient pas aller si loin), et que des programmes sociaux comme Medicare, pour les personnes âgées, ne soient pas touchés.

Les grands journaux de centre-gauche ont également dénoncé l'accord, à l'instar du New York Times qui reproche au président sa "capitulation quasi totale" face à des "républicains extrémistes", tandis que le Prix Nobel d’économie Paul Krugman rappelle qu'Obama avait déjà cédé face aux conservateurs en décembre avec le compromis sur la prolongation des exemptions fiscales datant de l’ère Bush, ou encore au printemps pour éviter un arrêt du gouvernement. 

Selon les analystes, Obama et ses alliés démocrates du Congrès se sont fait rouler dans la farine avec ce texte. Dante Scala, professeur de sciences politiques à l’Université du New Hampshire, a ainsi déclaré à l'AFP qu'à "court terme, le président a pris un coup et, même si un potentiel défaut de paiement catastrophique a été évité, il a perdu cette bataille". Reste que cet épisode n'a pas seulement porté atteinte à la cote de popularité du président, elle a également affecté l'image de la classe politique dans son ensemble.

Cote de popularité des politiques en berne

 Le spectacle d’élus des deux bords ne parvenant pas à se mettre d’accord et brandissant pendant des jours la menace d’un défaut de paiement n'a guère été appréciée par la population. Surtout que ces semaines de blocage ont poussé les agences de notation à menacer les États-Unis d’abaisser leur note financière, actuellement la meilleure possible (AAA). Le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, a lui-même reconnu que les négociations avaient été "un désordre total (...) quelquefois même un véritable cirque". Le dernier sondage Gallup montre d'ailleurs que le taux d'approbation du président est descendu à 40 % et celui du Congrès encore plus bas.

La Maison Blanche continue néanmoins de clamer que l’accord est une "victoire pour le peuple américain" et Barack Obama a repris dès mardi l'offensive en exhortant le Congrès à se concentrer à présent sur la création d'emplois. "Quand le Congrès rentrera de vacances, je l'inciterai à prendre immédiatement des mesures bipartites qui feront la différence", a ainsi annoncé le chef de l'Etat depuis la roseraie de la Maison Blanche. Les discussions sur le déficit américain sont ainsi loin d'être finies car la commission spéciale chargée de "contrôler la dette du gouvernement" et de trouver de nouvelles coupes budgétaires démarrera ses travaux à la rentrée.

Les républicains ont déjà prévenu qu'ils ne nommeront personne, au sein de ce groupe, qui soit en faveur d'une hausse des impôts. Les démocrates leur ont rétorqué que leurs membres défendront avec acharnement des programmes tels que la sécurité sociale ou Medicare. Cette commission devra rendre ses conclusions d'ici Thanksgiving (quatrième jeudi de novembre) et le Congrès devra les avoir adoptées avant le 23 décembre. Face aux doutes persistants sur les capacités de l'accord à parvenir efficacement à réduire les déficits américains et à assainir les finances, la Bourse de New York a de nouveau ouvert en baisse mardi. L'agence de notation Ficht a néanmoins annoncé qu'elle maintiendrait le "AAA" des Etats-Unis.