vendredi 18 février 2011

Permis de tuer pour les « pro-vie »

A la consternation générale, l’Etat du Dakota du Sud dans le nord des Etats-Unis a adopté en commission parlementaire un projet de loi qui permettrait de justifier le meurtre de docteurs pratiquant l’avortement. Un véritable droit à tuer défendu par les plus fondamentalistes des activistes « pro-vie ». Face au scandale provoqué par cette annonce, le vote en plénière a été ajourné.

Phil Jensen, l'élu républicain local
à l'initiative du projet de loi
(photo South Dakota Legislature)
La nouvelle est sortie mardi dans le magazine américain Mother Jones avant d'être reprise dans la semaine par toute la presse du pays. Le texte en question, déposé par l’élu républicain local Phil Jensen, propose d’étendre la définition de l’ « homicide justifié » et d’y inclure tout homicide visant à prévenir le meurtre de fœtus. En clair, une personne A peut tuer une personne B si cela permet d’éviter que la personne B n’élimine « l’enfant non né » de la personne A ou de son partenaire, parent, enfant. Le projet de loi a été approuvé en commission (9 pour, 3 contre) et doit à présent être mis aux voix de la plénière de la Chambre de l’Etat, dominée par les républicains. Chaque Etat dispose en effet de sa propre Chambre et de son propre Sénat, différents de la Chambre et du Sénat au niveau fédéral.

Face à l’ampleur du scandale suscité par cette mesure, les législateurs du Dakota du Sud ont toutefois décidé jeudi d’ajourner le vote et de le reporter à une prochaine session plénière. Car si cette loi entre en vigueur, elle autorisera en théorie le père, la mère, le fils, la fille, ou le mari de toute femme de tuer quiconque essaie de pratiquer un avortement sur cette femme, y compris si celle-ci souhaite subir l’avortement. Furieuses, de nombreuses associations de défense du droit à l’avortement ont dénoncé un texte « dangereux » et « ouvertement anticonstitutionnel ». Pour la Fédération nationale de l’avortement, la mesure constitue une « invitation à tuer les pourvoyeurs d’avortement ».

C’est aussi un véritable argument d’auto-défense pour de potentiels extrémistes prêts à aller jusqu’à commettre un meurtre au nom de leurs opinions. Et ils existent bel et bien: depuis 1993, huit docteurs ont été assassinés par des fondamentalistes anti-avortement dans cet Etat ultra conservateur du centre du pays, alors que 17 autres ont été les victimes de tentatives de meurtre. Certains des coupables ont essayé lors de leur procès d’invoquer le principe d’homicide justifié. Mais pour le rapporteur de la loi Phil Jensen, l’objectif de cette proposition est de donner « plus de cohérence » au code criminel du Dakota du Sud, qui permet déjà d’inculper pour homicide involontaire ou meurtre une personne coupable d’un crime résultant par la mort d’un fœtus.

Décourager de pratiquer un avortement

Sauf qu’entre considérer que tuer une femme enceinte est un double meurtre et tenter de créer une loi pour justifier le meurtre de docteurs pratiquant l’avortement, il y a une différence. Le Dakota du Sud dispose actuellement de l’une des législations les plus sévères du pays en matière d’avortement et de l’un des taux d’avortement les plus bas. Depuis 1994, plus aucun médecin ne pratique l’avortement dans cet Etat immense et rural. L’organe équivalent du planning familial fait toutefois venir une fois par semaine un docteur de l’extérieur dans une clinique de Sioux Falls, dans le sud-est de l'Etat, pour traiter certaines patientes.

Les femmes désireuses de pratiquer un avortement doivent alors respecter plusieurs règles, comme recevoir obligatoirement toute une série de conseils ou attendre 24 heures avant de lancer la procédure. Le docteur doit également encourager la personne à regarder l’échographie de son enfant et lui lire un texte déjà tout rédigé afin de la faire réfléchir à deux fois avant de passer à l’acte (le document indique notamment que l’avortement « met un terme à la vie d’un être humain entier, unique et vivant »). Depuis peu, les docteurs sont même poussés à donner des informations erronées en indiquant que l’avortement « accroît les risques de suicide »…

Arrêt de la Cour Suprême de 1973

Le Dakota du Sud a tenté à deux reprises en 2006 et 2008, par référendum, d’interdire complètement l’avortement mais sans succès. Du coup, les activistes « pro-vie » et les législateurs conservateurs tentent par tous les moyens de rendre très difficiles les conditions d’accès à un avortement. D'autres Etats essaient actuellement d'adopter une interdiction totale de l'avortement (sauf si la vie de la mère est en danger), par exemple le Mississipi ou le Missouri.

Si de telles interdictions étaient votées, elles garderaient une forte portée politique mais ne seraient pas juridiquement valides. Il faudrait attendre pour qu'elles le deviennent que l’arrêt de la Cour Suprême du 22 janvier 1973 soit renversé. Cet arrêt prévoit que la liberté personnelle et la protection de la sphère privée comprennent le droit de la femme de décider dans les six premiers mois de l'interruption d'une grossesse. A plusieurs reprises au cours de ces trente dernières années, la Cour Suprême a eu l'occasion de se pencher sur cet arrêt Roe v. Wade mais si des modifications ont été apportées pour rendre plus difficile l'avortement, le principe de base a été maintenu. 

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